AU CŒUR DE LA RÉFLEXION

Par Jean-François Cyr

 

Entrevue avec Ranya El-Masri
Directrice commercial régionale, Merck Canada
Coprésidente du Chantier sur l’intelligence artificielle en sciences de la vie et technologies en santé

 

CHANTIER EN INTELLIGENCE ARTIFICIELLE EN SCIENCES DE LA VIE ET EN TECHNOLOGIES DE LA SANTÉ

Vous êtes coprésidente d’un nouveau chantier sur l’intelligence artificielle. Qui en est responsable?

Afin d’assurer un développement économique qui est viable et respecte les règles éthiques en matière d’IA, Montréal InVivo a créé tout récemment un chantier en IA, en collaboration avec plusieurs spécialistes du domaine.

Quel sera le mandat du Chantier?

Puisque c’est tout nouveau, le mandat est encore en train d’être dessiné. D’emblée, je dirais qu’il va traiter de l’IA particulièrement dans le secteur des sciences de la vie. Il devra s’assurer du bon développement de l’industrie pharmaceutique et d’organisations en IA. C’est en santé, et particulièrement en sciences de la vie, qu’il y a le plus grand potentiel pour l’IA, mais c’est là aussi que l’on constate le moins de progrès. C’est dû à toutes sortes de barrières, dont les règles associées à l’accès aux données des patients.

Nous sommes environ une vingtaine de membres à participer au Chantier. Nous avons tenu notre première réunion [à la fin du printemps]. Déjà, nous avons déterminé que le principal objectif est de catalyser l’IA en santé. Sur ce Chantier collaborent des gens de l’industrie privée pharmaceutique, dont moi-même, des personnes des biotechnologies, dont le cofondateur d’Imagia Alexandre Bouthillier, des chercheurs de diverses universités, des spécialistes de l’IA et des représentants gouvernementaux.

Nous aimerions d’abord définir les thèmes principaux sur lesquels nous allons travailler pour les prochaines années : l’éthique, les talents, l’entrepreneurship, l’accès aux données, la collaboration entre les joueurs du milieu ou encore l’investissement. Nous allons aussi travailler avec d’autres personnes qui vont œuvrer à des tables de travail associées au Chantier.

 

À L’AVANT-SCÈNE

Merck a-t-elle un intérêt particulier pour l’intelligence artificielle?

Oui. Merck s’intéresse beaucoup à l’IA. Montréal est une force en IA. La filiale montréalaise se veut un peu l’ambassadrice du Québec auprès de la compagnie mère de Merck. La compagnie a déjà noté que Montréal dispose de l’une des plus grandes concentrations d’experts universitaires en IA. C’est une richesse dont Merck Québec aimerait bénéficier pour obtenir des investissements du siège social de la compagnie.

Il y a déjà chez Merck une grande stratégie de numérisation à tous les niveaux, y compris la découverte du médicament. Je pense aussi à l’analyse des données, à la fabrication, à la mise en marché, à la compréhension de nos marchés. Nous sommes très conscients que si nous ne prenons pas l’IA au sérieux aujourd’hui, nous allons perdre un grand avantage compétitif. Nous sommes à la phase des dessins, disons. Le sujet de l’IA est très actif chez nous.

À quoi correspond cette phase, en fait?

Au niveau global chez Merck, il y a déjà beaucoup d’activité à propos des experts qui travaillent en IA. Au Québec, nous investissons dans nos employés afin de développer leurs capacités. Nous avons déjà bâti une équipe de numérisation. Ce n’est pas encore de la vraie IA, mais c’est un début. À propos de l’IA, nous sommes en mode partenariat. Montréal est d’ailleurs un milieu de choix.

 

LES ENJEUX

Quels sont les principaux objectifs de Merck pour l’intelligence artificielle?

Dans le diagnostic et la découverte du médicament, il y a encore énormément de travail à faire en IA. C’est clair que le but principal est d’accélérer la recherche et de rendre les processus plus efficaces. Non seulement ceux-ci sont souvent très longs, mais ils mènent régulièrement à des échecs. Il y aura fort probablement des économies de coûts. Mais ce n’est pas l’objectif principal. Notre premier but est d’améliorer la santé des gens, donc les traitements.

À quels niveaux l’intelligence artificielle peut-elle aider Merck?

L’IA aidera évidemment les employés de Merck dans le traitement de données et dans l’analyse de marqueurs. Il est possible avec l’IA d’analyser une grande quantité d’information et de faire beaucoup plus rapidement des déductions et des liens. Voilà pourquoi la disponibilité des données est primordiale. Chez Merck, il existe déjà des fonds réservés pour l’IA, surtout au niveau de la découverte. De toute manière, l’IA devra éventuellement être intégrée à tout ce que font les employés de la compagnie. Elle sera un peu notre électricité du futur. Nous voulons intégrer cette nouvelle capacité dans tous nos processus.

 

La formation des employés jouera-t-elle un rôle important?

La formation sera importante, tant au niveau des entreprises qu’au niveau des institutions universitaires. Il faudra intégrer l’IA à notre savoir-faire. Celle-ci pourra probablement nous apporter de nouvelles possibilités. Nous aurons certainement besoin d’une relève pouvant travailler en complémentarité avec nos employés chez nous présentement, afin d’apporter de nouvelles idées. Les efforts de nos employés seront soutenus par des analyses beaucoup plus profondes. L’analyse des donnés sera critique et c’est une capacité qui est insuffisante en ce moment dans notre organisation.

Je crois que d’ici 10 ans nous aurons besoin de former notre main-d’œuvre. Nous aurons également besoin d’engager des gens ayant de nouvelles compétences en IA. Nous savons qu’il y aura une évolution majeure dans notre milieu. Nous sommes déjà actifs auprès des instituts, des HEC Montréal [précédemment École des hautes études commerciales de Montréal] et des universités pour attirer la nouvelle force de travail que sont les milléniaux, qui ne pensent peut-être pas encore à l’industrie pharmaceutique en ce qui concerne l’IA. Ils ont peut-être davantage à l’esprit des entreprises comme Google…

Quel impact pourrait avoir l’IA sur votre main-d’œuvre?

L’intégration de l’IA en pharmaceutique devra être complémentaire et faite en harmonie avec la main-d’œuvre déjà existante. Ce sera évolutif, ou plutôt transformationnel. Il faut calmer les esprits des personnes qui croient que l’IA va créer d’énormes pertes d’emploi. Il n’existera pas soudainement un groupe de travailleurs à la mode qui vont voler les emplois des groupes traditionnels chez Merck!

Chez Merck, quel est votre plus grand défi?

La grande barrière au développement de l’IA en santé n’est pas technologique, c’est l’accès aux données. Il existe une grande difficulté à accéder à l’énorme quantité d’information associée aux patients. Il faut trouver des tables réglementaires au Québec afin de faciliter cet accès aux données, d’une manière responsable, que ce soit pour des compagnies privées, des chercheurs ou même pour le ministère de la Santé. Même ce dernier n’a pas accès aux données. Si on veut optimiser les soins et les personnaliser, il faut permettre cet accès. De plus en plus, le public s’attend à ce que l’offre des soins soit la meilleure possible. Merck s’intéresse grandement à cette problématique.

Regard | Juin 2018