DANS LA MIRE DU FRQS
Entrevue avec Serge Marchand,
Directeur scientifique du Fonds de recherche du Québec – Santé (FRQS)
ENCADRER LE DÉVELOPPEMENT DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
Quel est le portrait de la vigueur de l’intelligence artificielle au Québec?
La vigueur de l’IA est assez importante au Québec. La province est l’un des hubs mondiaux à ce sujet. Dans plusieurs domaines, comme l’informatique et le big data, elle a pris beaucoup d’ampleur ces dernières années. Il en est de même pour le domaine de la santé. L’IA ne s’en vient pas, on est déjà pleinement dedans.
Évidemment, le côté Big Brother de l’IA peut avoir des mauvais côtés. Cela dit, rien ne sert de paniquer : il faut se mobiliser pour encadrer le développement de l’IA. D’ailleurs, on a tout récemment créé un observatoire international sur les conséquences sociétales de l’IA à Montréal – le gouvernement du Québec a confirmé sa création en mars. Le Fonds de recherche du Québec – Santé (FRQS) participera de près à cet organisme. Le Fonds de recherche du Québec – Nature et technologies ainsi que le Fonds de recherche du Québec – Société et culture sont aussi partenaires, sans oublier différentes universités et le ministère de la Santé du Québec. En fait, l’appel à projets est déjà lancé pour les demandes de fonds.
Lors d’un forum tenu en 2017, la Déclaration de Montréal pour un développement responsable de l’IA a été lancée. Un des dangers, c’est que l’IA soit accaparée par les Google et autres grosses corporations de ce monde. On ne veut pas bloquer son évolution, on veut seulement l’encadrer.
Quelles sont vos implications en intelligence artificielle jusqu’à maintenant ?
Au FRQS, on a investi environ 2 millions de dollars par année dans l’IA, depuis 2007. L’an dernier, on a engagé 2,6 millions de dollars dans des projets de toutes sortes. Nous sommes impliqués dans la formation de la relève, dans des carrières de chercheurs, dans des regroupements de recherche, etc. Ce montant va probablement augmenter, car en santé, de plus en plus de gens vont intégrer l’IA dans leur projet. En pharmaceutique, on a eu moins de demandes directes, car c’est plutôt le Fonds de recherche du Québec – Nature et technologies qui subventionne les projets. Or, il existe des liens grandissants entre l’IA, des projets associés aux sciences de la vie et le milieu pharmaceutique…
Le FRQS voudra s’assurer dans les prochaines années que les investissements en IA sont soutenus et respectent des normes éthiques. Par exemple, une compagnie pharmaceutique pourrait demander l’accès à des données pour mieux orienter ses traitements. Les compagnies veulent améliorer leurs produits, leurs médicaments. Il faudra seulement s’assurer que l’accès aux données des patients soit très bien encadré… Au FRQS, on suggère des balises, en collaboration avec d’autres acteurs. On fait de la co-construction. Au lieu d’imposer des règles, on fait des mises en garde, on propose, on accompagne. Aucune compagnie n’a de toute manière intérêt à ce que ça dérape, car elle va le payer cher, éventuellement.
NOUVELLES RESPONSABILITÉS ET COMPÉTENCES
Quelles sont les répercussions de l’IA dans le monde du travail en pharmaceutique?
Une des conséquences de l’arrivée de l’IA est la transformation du milieu de la main-d’œuvre. Il est à parier que la très grande majorité des emplois vont demeurer, même après l’implantation de l’IA dans une entreprise. Mais les responsabilités et les tâches de l’employé risquent d’être différentes… Dans 10 ans, il existera probablement des postes qu’on ne connait pas aujourd’hui. On veut suivre le mouvement et se préparer aux besoins en formation universitaire, notamment.
Au cours de la recherche sur l’efficacité d’un médicament, l’évaluation des mécanismes que celui-ci utilise pour produire son action, ainsi que des interactions qu’il peut avoir avec d’autres médicaments, avec la nourriture, avec plein d’habitudes de vie, requiert une tonne de données… Sans oublier celles portant sur le genre, l’âge, le type de maladie, etc. L’IA va permettre des mégaanalyses et des systèmes d’autoapprentissage. On pourra aller plus vite afin d’arriver à des conclusions. Des études effectuées sur de grandes quantités de patients pourront permettre, parfois, de vérifier l’efficacité d’un médicament. L’IA aura certainement un effet très mobilisateur pour mieux comprendre l’effet d’une molécule.
Regard | Juin 2018