DÉPLOIEMENT DANS LA PHARMACEUTIQUE

Par Jean-François Cyr

 

Entrevue avec Diane Gosselin
Présidente et directrice générale
Consortium québécois sur la découverte du médicament (CQDM)

 

UN PEU DE RETARD

Comment pourriez-vous décrire le secteur de l’intelligence artificielle au Québec?

C’est un secteur très vigoureux au Québec. On a une belle masse critique de chercheurs qu’on devra toutefois continuer à développer. Bien que l’on doive être patient face à cet engouement, l’IA est excessivement prometteuse.

Quelles sont vos implications en intelligence artificielle jusqu’à maintenant?

Nous avons quelques projets au CQDM, mais il faudra attendre encore un peu avant de sentir vraiment son essor en pharmaceutique, contrairement à d’autres secteurs touchés par l’IA. Il existe des initiatives en santé, mais c’est un peu plus lent. Pour l’instant, on ne finance pas de projet, mais ça s’en vient, par exemple en radiologie.

Certaines entreprises ont manifesté leur intérêt au CQDM à propos de l’IA. Il faut faire attention face à cet engouement. Il faut prendre le temps de bien réfléchir de quelle façon nous pouvons apporter une aide. Il faut garder la tête froide, disons. Bien que le CQDM ne finance pas l’entreprise Imagia, c’est un bel exemple de technologie qui se déploie en santé. Le CQDM, lui, se consacre bien entendu au milieu pharmaceutique. Et dans le domaine, le déploiement est un peu en retard. À vrai dire, c’est juste que l’industrie bouge un peu moins vite. Les pharmaceutiques sont notamment à la recherche de certains groupes les mieux outillés afin de répondre à la demande qui touchera l’IA.

Quelles sont les craintes pour les pharmaceutiques?

Le premier danger à se lancer trop rapidement dans l’IA serait de perdre beaucoup d’argent. L’entreprise doit connaitre ses besoins les plus pressants. Dans le contexte du développement d’un médicament, c’est long. Il faut s’assurer de l’efficacité d’une méthode avant d’investir massivement dans l’IA. Ultimement, ce qu’on veut, c’est qu’un médicament soit le plus efficace possible avec le moins d’effets secondaires. En clinique, l’IA bien utilisée pourra faire sauver du temps et de l’argent. Je ne sais pas jusqu’à quel point les compagnies ont utilisé l’IA pour développer leurs médicaments, mais c’est encore [embryonnaire].

Dans le domaine du développement du médicament, on a déjà le machine learning, qui permet d’analyser l’amélioration du médicament. Avec l’IA, la plateforme pourra proposer les meilleures structures.

 

FICELLER LE BIG DATA À L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE

Vous préparez le terrain pour apporter une aide éventuelle aux entreprises?

Au CQDM, il n’existe pas de budget spécifique pour l’IA. Nous avons le mandat de financer les technologies innovantes qui répondent aux besoins les plus pressants. Cependant, il serait tout à fait possible que le CQDM s’associe éventuellement à des projets. Il est également possible que le CQDM obtienne prochainement du financement du gouvernement dans le secteur de l’IA. Il s’agit juste de trouver les projets adéquats. Deux secteurs doivent converger : celui de l’IA et celui du développement du médicament. Il faut que les chercheurs des deux côtés parlent le même langage et développent des projets communs.

D’ici à ce que tout démarre vraiment en IA, le CQDM finance des projets qui sont à la frontière. Je pense à Jacques Corbeil, à l’Université Laval, qui travaille diverses structures de molécules en les testant in vitro. Ensuite, il intègre les résultats dans une plateforme. La beauté de cette démarche, c’est qu’éventuellement, la plateforme pourra faire des liens avec plein d’autres types de molécules.

Quels peuvent être les bénéfices de l’intelligence artificielle en pharmaceutique?

Dans le passé, on a généré énormément de données. On essaie toujours de faire des associations dans le but de trouver des corrélations. Par exemple, entre le diabète et un certain nombre de biomarqueurs. On est souvent limités, car la plupart du temps, il y a trop de variables, trop de données. C’est ce qu’on appelle le big data. Avec l’IA, on pourra à la fois intégrer beaucoup plus d’information en provenance des patients et faire des liens entre des études qui normalement ne sont pas liées. Ainsi, on pourra probablement identifier plus facilement des marqueurs associés à des maladies. Par contre, il faudra s’assurer qu’on fait des études menant à des résultats probants.

Je pense que l’IA va changer la vie des gens dans tous les secteurs de notre société. Ce sera intrinsèque à tout ce qu’on fera en santé. Est-ce qu’on doit orienter uniquement notre développement dans le sens de l’IA? Non. Cela dit, on se demande évidemment comment utiliser au mieux cette technologie de l’avenir pour améliorer le système de santé. C’est juste plus complexe de développer l’IA en recherche et développement du médicament. Je peux vous assurer que l’IA va éventuellement avoir une place de premier plan dans l’industrie pharmaceutique. En ce moment, on assiste à son éclosion. Tout le monde est en apprentissage : les entrepreneurs, les investisseurs, les chercheurs, les cliniciens…