LE BIG DATA AU QUÉBEC

Par Danielle Ouellet, communicatrice scientifique

Un espoir pour la santé de l’industrie biopharmaceutique

L’industrie biopharmaceutique, à l’instar des organisations de santé, cherche sans cesse à améliorer la vie des gens. Elle s’appuie pour cela sur de la haute technologie, des statistiques avancées et un très grand nombre de données. Depuis cinq ou six ans, on assiste à l’explosion de la quantité des données disponibles et à l’accélération de la vitesse à laquelle ces données sont générées.

Big data est le terme consacré pour désigner cette gigantesque quantité d’informations qui doivent être accessibles et ensuite traitées. Le sujet a récemment fait l’objet d’une étude publiée par Montréal International (www.montrealinternational.com) qui recommande notamment d’encourager les organisations et les entreprises québécoises à intégrer le big data dans leur processus d’affaires et à développer une offre de formations spécialisées adaptées aux besoins des entreprises.

QuintilesIMS (http://imsbrogancapabilities.com/fr/consultation.html), une firme de statistiques, de technologie et de consultation internationale spécialisée dans le domaine de la santé, produit des données sur les soins de santé et offre des services de consultation aux entreprises. Elle est reconnue dans la technologie du big data. Ses quelque 50 000 employés œuvrent dans plus de 100 pays. Au Canada, elle compte plus de 500 employés, dont une cinquantaine de personnes dédiées à la technologie et à la consultation relatives au big data. Ces personnes sont en poste à Ottawa, à Toronto et à Montréal qui en regroupe environ le tiers.

Deux représentants de QuintilesIMS soulignent l’importance, pour le Québec, de relever les défis liés à l’utilisation du big data. L’accès aux données et la sécurité des renseignements personnels sont des enjeux majeurs. Le succès, précisent-ils, contribuera à la réussite de la médecine personnalisée, permettra au Québec de retrouver sa position de chef de file au Canada quant aux investissements en recherche biopharmaceutique et créera des milliers de nouveaux emplois. ➲➲➲

L’EXPLOSION DU BIG DATA
Entrevue avec Pierre St-Martin

PIERRE ST-MARTIN
Directeur
Services statistiques et analytiques
Canada et Amérique latine
QuintilesIMS

« Auparavant, récolter des données ou des informations consistait, grosso modo, à obtenir des données quantitatives telles que l’âge, la date de naissance, le revenu annuel, le nombre d’enfants, etc. S’ajoutaient aussi des données qualitatives, comme le sexe, la profession, les habitudes de vie, toutes relativement structurées et faciles à traiter.

« L’arrivée d’Internet et des réseaux sociaux a bouleversé la donne. Aujourd’hui, l’information se camoufle dans tout ce qui circule dans les réseaux sociaux, sous forme de chiffres, mais aussi de textes, de commentaires qu’il faut décoder.

« En santé, l’information se cache par exemple dans les ordinateurs des médecins qui conservent désormais les dossiers médicaux des patients : au Canada, 75 % est informatisée et ce nombre sera de 80 % dans cinq ans. En plus des données cliniques habituelles, signes vitaux, symptômes, diagnostics, ces dossiers contiennent de l’information sur les tests de laboratoire et autres types de procédés médicaux pertinents. On trouve aussi de l’information dans les hôpitaux où l’on suit le patient à travers le système depuis son entrée jusqu’à sa sortie, dans les banques de dons d’organes, d’informations génétiques, à la Régie de l’assurance-maladie du Québec (RAMQ), dans les entreprises biopharmaceutiques elles mêmes, etc. On la trouve dans les cellulaires qui enregistrent le nombre de pas quotidiens de son propriétaire et même dissimulée dans des vêtements où des récepteurs enregistrent le comportement du cœur des patients !

« Toutes ces données constituent une chance inouïe pour le développement de la médecine personnalisée. Une fois qu’elles ont été unifiées et structurées, on peut étudier encore plus finement les signes vitaux et la santé d’une personne en se basant sur son histoire personnelle, mais aussi sur celle d’autres patients aux symptômes semblables.

« Ces résultats s’appuient sur des algorithmes d’analyse mathématique très complexes, mais qui existent déjà. Une entreprise, par exemple, utilise un algorithme qui analyse des images du cœur filmées par le patient lui-même. Autre exemple, un prototype intéressant né au Québec : le patient y entre lui-même différentes informations à son sujet, celles-ci sont comparées avec celles d’autres cas similaires, et le résultat lui indique s’il doit consulter son médecin en urgence ou s’il peut attendre, ou encore si tout est beau. Nombre de telles technologies sont encore au stade embryonnaire, mais ce type d’utilisation du big data va exploser. C’est pour très bientôt.

« D’autres bénéfices de l’utilisation du big data sont l’accélération de la R-D et le développement de nouveaux médicaments de plus en plus adaptés à une pathologie et à un individu particulier, notamment sur la base de la génomique.

« Toute cette effervescence est palpable et les méthodes d’exploitation de ces données sont en croissance rapide. La technologie est disponible, mais le Québec doit encore surmonter certains
obstacles, ce qui nous permettra de gagner notre place au soleil dans ce nouveau paradigme. » ◼

CRÉER DE LA RICHESSE ET DES EMPLOIS
Entrevue avec Gilbert Merariu

GILBERT MERARIU
Chef des services, Gestion des données, Solutions technologiques
QuintilesIMS

« Les chiffres sont éloquents, le Québec a du chemin à parcourir pour remonter la pente en termes d’investissement dans le secteur biopharmaceutique. Entre 2011 et 2015, la croissance mondiale en recherche pharmaceutique a augmenté d’environ 2 à 3 % par année, soit de 140 à 150 milliards de dollars américains annuellement. Au cours de cette période, les investissements au Canada ont diminué. Pendant que l’Ontario connaissait une croissance de 6,7 %, le Québec subissait une décroissance de 19,1 %. Investir dans le big data est un excellent moyen de renverser la vapeur. De la même manière que le pétrole est le carburant pour une voiture, le big data est le carburant du futur pour le système de santé.

« Notre force est d’être capables d’extraire les informations pertinentes de ces données, pour ensuite en faire bénéficier les entreprises biopharmaceutiques, les hôpitaux et tout le système de santé. Grâce à l’information obtenue des données probantes tirées du monde réel et dont la confidentialité est assurée (Anonymized Real-World Evidence ou RWE), il est désormais possible non seulement d’améliorer les soins aux patients, mais aussi de générer des fonds de recherche pour le Québec.

« Mais pour y arriver, il faut avoir accès à toutes ces données, et contrairement à l’Angleterre où l’accès aux bases de données est très ouvert, le Québec a encore du chemin à parcourir dans ce sens. Les données appartiennent à l’établissement, hôpital ou autre organisme, qui les recueille. La crainte de les rendre accessibles est certes légitime, car la protection de la vie privée est en jeu. Mais il existe des solutions, encore faut-il vouloir les entendre. Chez nous, le respect de la vie privée et la protection des renseignements personnels sont une priorité.

« Un autre frein concerne la qualité des données disponibles. Il arrive, par exemple, qu’à l’intérieur d’un même établissement, la collecte des données se fasse différemment  d’un service à l’autre.    Nous avons beaucoup de nettoyage de données à réaliser pour les rendre utilisables.

« Neil Corner, directeur général, Accès aux soins de santé et résultats chez QuintilesIMS, est actuellement en contact avec le ministère de l’Économie, de la Science et de l’Innovation du Québec où, heureusement, on est très ouvert à cette problématique. La disponibilité des données anonymes est cruciale pour garantir de nouveaux investissements chez nous. Ces données sont sans aucun doute la monnaie du futur pour la santé. Il faut éliminer les barrières pour y accéder et, pour cela, travailler encore plus étroitement avec les organismes publics et privés.

« Une fois ces étapes franchies, le savoir-faire pour traiter le big data et en extraire l’information pertinente est là. Nous avons d’excellents chercheurs en intelligence artificielle, reconnus dans
le monde. Tout comme QuinitilesIMS, l’Institut de valorisation des données (IVADO) HEC Montréal – Polytechnique Montréal – Université de Montréal regroupe des professionnels de l’industrie et des chercheurs universitaires qui développent des technologies de pointe dans le domaine du big data.

« Autre retombée positive : la création d’emplois déjà commencée. Quelques dizaines de milliers d’emplois seront disponibles au cours des prochaines années, mais nous ne formons qu’à peine quelques centaines d’étudiants actuellement. Montréal International nous apprend qu’au Canada environ 150 000 postes d’analystes et de gestionnaires d’affaires qui requièrent des connaissances en exploitation des données, toutes industries confondues, sont disponibles. Montréal est une plate-forme incontournable et nous aurons besoin de spécialistes en informatique, en science des données, en statistiques, en programmation, avec des formations spécifiques liées au traitement des données. Nous devons dès maintenant créer des programmes multidisciplinaires. Il est clair que, de la même manière que l’informatique est devenue “sexy” avec les Apple et Microsoft de ce monde, les statistiques sont, à leur tour, elles aussi en train de devenir “sexy”. ◼

Regard | Février 2017