Techniques de laboratoire en biotechnologies: un appel à la collaboration

Par Jean-François Cyr

Récemment, Pharmabio Développement a publié La Relève collégiale 2017, une enquête annuelle qui a pour but de faire connaître la nouvelle main-d’œuvre disponible pour le secteur des industries des produits pharmaceutiques et biotechnologiques. Tableau mis de l’avant encore cette année, plusieurs enseignants au sein des cégeps estiment que les employeurs ont une méconnaissance considérable du programme en techniques de laboratoire en biotechnologies. Un constat important puisque les techniciens en laboratoire, incluant ceux issus du profil en chimie analytique, représentent environ 20 % des travailleurs de l’industrie biopharmaceutique. 

Certains ont l’impression que les entreprises préfèrent les étudiants qui détiennent un baccalauréat au détriment de ceux qui ont un diplôme d’études collégiales (DEC). Étrangement, la qualité de la formation de ces derniers est très élevée. Professeurs et responsables de département se demandent si leur travail répond toujours adéquatement aux exigences du marché. Quelques-uns revendiquent même la tenue d’une table de concertation, ou encore la création d’un sommet, afin d’échanger sur la question avec des spécialistes du milieu de l’éducation et du monde biopharmaceutique.

 

Bonne nouvelle

Lucie Brouillette
Enseignante, département de biologie et biotechnologies
Collège Ahuntsic

Montréal InVivo, en collaboration avec divers partenaires, dont Pharmabio Développement, publiera une étude sur le sujet en 2018. Celle-ci traitera à la fois des besoins des industries et de la formation offerte dans les cégeps et les universités au Québec. Il s’agit possiblement d’une étape cruciale dans la mise en place de solutions optimales et durables.

Les techniciens en laboratoire, qu’ils soient spécialisés en biotechnologies ou en chimie analytique, sont aptes à travailler immédiatement dans plusieurs sphères d’activités, autant en contrôle de la qualité qu’en recherche et développement. Ils sont autonomes dans un laboratoire et peuvent donc être de bons alliés. Une bonne connaissance théorique vient en appui aux apprentissages techniques. Cette formation de qualité est offerte dans six établissements.

Lucie Brouillette, qui a plus de 25 ans d’expérience en enseignement pour le département de biologie et biotechnologies du Collège Ahuntsic, commente ainsi : « Nos finissants sont prêts à œuvrer dans un laboratoire, dans un cadre de santé et sécurité au travail, puis de bonnes pratiques de laboratoire. Nous sommes toujours ouverts à rencontrer les entreprises afin de leur présenter nos programmes en techniques de laboratoire, avec nos technologues et nos enseignants. »

Selon Mme Brouillette, « c’est important de se tenir au courant de ce qui se passe sur le marché du travail. De fait, depuis la naissance du programme, ce dernier a subi plusieurs restructurations. Nous sommes d’ailleurs en réévaluation du programme en ce moment. Nous le faisons évidemment en fonction des besoins de l’entreprise. Cela dit, ce n’est pas toujours évident d’obtenir des informations de la part des entreprises pharmaceutiques… »

 

Bacheliers et techniciens

Plusieurs enseignants croient que lesentreprises préfèrent engager – pour les stages tout comme pour les emplois – des bacheliers au détriment des techniciens, car les responsables ne connaissent pas bien cette formation. « Je tiens toujours le même discours : les étudiants qui ont un DEC peuvent bien sûr travailler dans le domaine du contrôle de qualité, mais ils peuvent aussi évoluer en recherche et développement. Certaines entreprises comme Bio-K Plus engagent des techniciens. En général, j’ai toutefois l’impression que leurs compétences ne sont pas suffisamment reconnues dans l’industrie », souligne Mme Brouillette. Ses collèges et elle travailleraient fort pour faire valoir la qualité de ces compétences. Ils demanderaient régulièrement aux entreprises pharmaceutiques de clarifier leurs attentes à l’endroit d’un technicien : « Parfois, je crois qu’elles préfèrent un bachelier qui ne sait pas manipuler, mais connaît l’enjeu théorique… »

 

Les stagiaires

Éric Athlan
Coordonnateur, département de biologie et biotechnologies
Collège Ahuntsic

Au dire de Mme Brouillette, il fauttrouver une manière de mieux « publiciser » le programme et l’avantage de découvrir le travail des techniciens en laboratoire, particulièrement à propos des stagiaires. « Parce que nous sommes en amont du marché de l’emploi, un échange de vive voix entre les deux parties est essentiel au développement constant de la formationque nous offrons. En venant nous rencontrer
et/ou en accueillant des stagiaires en fin de parcours scolaire, nous pouvons, de part et d’autre, discuter des besoins. En ce moment, je pense que ça prend plus que ça. Mais je n’arrive pas tout à fait à trouver ce que nous [les enseignants] devons faire pour réussir à faire connaître les avantages du programme de techniques en laboratoire… »

Éric Athlan, responsable du département de biologie et biotechnologies au Collège Ahuntsic, abonde dans le même sens que sa collègue : « Je crois que la situation a toujours été la même. Le programme a toujours été mal connu des employeurs ou des étudiants. Du côté des employeurs, ils ont une méconnaissance générale du programme et de son degré de profondeur. Pourtant, les étudiants ont des compétences assez larges (biochimie, génie génétique, micro, immuno, chromato, toxico, bioprocédés). Les employeurs qui ne nous connaissent pas s’attendent à quelque chose de plus superficiel. Ils n’imaginent pas que les enseignants peuvent amener les étudiants si loin au niveau technique. » « Il arrive souvent que les nouvelles entreprises, avec lesquelles nous collaborons, prennent des stagiaires ayant un BAC, et d’autres un DEC, poursuit M. Athlan. Cela dit, à la fin du stage, les responsables renvoient la plupart du temps celui avec un BAC et gardent le diplômé du collégial. C’est un constat fait au fil des dernières années. Puisqu’on n’a pas beaucoup de diplômés, nous recontactons souvent les mêmes compagnies pour les stages chaque année. On devient en quelque sorte victimes de notre succès. »

Même son de cloche du côté de Michelle Bernier, coordonnatrice du département de biologie et biotechniques du Collège Shawinigan : « Certains employeurs tiennent à engager des bacheliers dans leurs laboratoires, et nous croyons que c’est relié à une méconnaissance générale de la formation de nos techniciens. Le grand nombre d’heures de laboratoire dans leur formation et les 2 stages de 10 semaines les préparent pourtant très bien à œuvrer de façon autonome. De plus, près d’une année de formation est reconnue par plusieurs universités dans le cadre de nombreux DECBAC,ce qui reflète aussi le niveau relevé de la formation collégiale. »

D’après Mme Bernier, l’encadrement des stagiaires n’est d’ailleurs pas toujours optimal en entreprise. La méconnaissance de la formation des techniciens et du champ de leurs connaissances théoriques et techniques de la part des superviseurs a occasionné des problèmes. Par exemple, « certains stagiaires ont eu un encadrement insuffisant lorsqu’ils devaient exécuter de techniques pointues ou utiliser des appareils qu’ils ne connaissaient que peu ».

« Je tiens à préciser que la majorité des stagiaires vivent de très bonnes expériences en entreprise, souligne Mme Bernier. Mais
certains superviseurs ont des attentes très élevées en lien avec le niveau d’autonomie atteint par des finissants de même qu’avec leur capacité à prendre des initiatives et à s’adapter rapidement à leur nouvel environnement de travail. »

« Par ailleurs, un nombre important d’heures de formation en chimie fait partie du curriculum vitæ des étudiants du programme de biotechnologies et certains employeurs l’ignorent, ajoute-t-elle. Ça ne fait pas d’eux des techniciens en chimie analytique, mais cette solide formation les rend très polyvalents et peut répondre aux besoins de certains employeurs du domaine chimique. »

 

Des préjugés négatifs?

Bien que le taux de placement des techniciens – qui est supérieur à 90 % dans la plupart des six cégeps – soit dans l’ensemble très satisfaisant dans les six établissements collégiaux, quelques problèmes persistent dans les rapports entre ceux-ci et l’industrie.

« Je crois qu’une partie du problème est associée aux générations précédentes,notamment les baby-boomers, expliqueM. Athlan. Ceux-ci ont pu trouver des emplois partout grâce à un baccalauréat. Ils ont très souvent mis leur foi dans les diplômes universitaires. Ils ont transmis cette croyance à leurs enfants. Nous nous rendons compte qu’il existe un préjugé négatif à propos des diplômes collégiaux. Il faut se battre contre cette croyance… Durant les portes ouvertes au Collège, on doit toujours faire de l’éducation auprès des parents.

« L’université, c’est bien, mais souvent le baccalauréat ne prépare pas adéquatement au milieu du travail. Il faut souvent continuer la formation à la maîtrise et au doctorat…Exception faite pour les techniciens qui, après un DEC, poursuivent leurs études au BAC. Là, ils auront une aisance supérieure en entreprise. Plusieurs universités reconnaissent d’ailleurs la qualité de l’enseignement collégial en créditant de nombreux cours au BAC. »

Mme Bernier ajoute que la rémunération en stage (10 semaines payées obligatoires) paraît être un problème pour certains employeurs. Elle croit que l’obligation de payer aussi longtemps un stagiaire – ce qui est une excellente chose – peut décourager certains employeurs.

En 2016, le salaire initial moyen des techniciens en laboratoire était de 35 500 $ par année, ce qui représente 17 $ de l’heure.

 

Malgré un taux de placement excellent

Selon M. Athlan, les modifications qu’a subies le milieu pharmacologique québécois en 2011 ont secoué le milieu de la formation.
Pendant deux années, le taux de placement au Collège Ahuntsic a diminué de manière importante (60 % en 2011 et 56 % en 2012).

 

 

Par la suite, depuis 2015 (30 diplômés en biotechnologies), le Collège a retrouvé sa vitesse de croisière : 90 % des étudiants trouvent un emploi à temps plein permanent.

Construit à partir d’un sondage interne effectué auprès des répondants volontaires, le tableau ci-dessus présente la distribution des milieux de travail et des postes parmi les titres d’emplois offerts aux diplômés au Collège Ahuntsic en 2015.

 

Une étude sur les besoins en sciences de la vie

Patrick D. Paquette
Directeur associé
Montréal InVivo

« Les finissants des programmes techniques sont souvent en compétition avec es diplômés du baccalauréat », soutient le directeur associé chez Montréal InVivo, Patrick D. Paquette. Celui-ci est bien placé pour soutenir cette affirmation puisqu’il est un ancien étudiant du Collège Ahuntsic en biotechnologies.

Cette constatation, faite également par Mme Brouillette et M. Athlan, arrive à point pour Montréal InVivo, qui lancera prochainement une étude sur l’adéquation entre les formations données dans les cégeps et les universités, puis sur les besoins du marché de l’emploi.

« De notre côté, souligne M. Paquette, nous avons observé que les maisons d’enseignement développent leur programme au meilleur de leurs connaissances. Mais le milieu des sciences de la vie évolue rapidement. Nous sentons que les gens travaillent de leur côté, sans se parler beaucoup… »

« Cette initiative que je vais piloter chez Montréal InVivo, poursuit-il, servira à mettre en place une stratégie concertée entre le milieu de l’emploi et le milieu scolaire pour le développement des compétences. Donc, nous voulons à la fois connaître les besoins récents des entreprises et proposer des pistes de solution afin que les cégeps et les universités puissent leur répondre. Nous allons former des comités de réflexion, nous allons engager des consultants financiers pour recueillir des données auprès des entreprises… »

Cette enquête sera faite en partenariat avec le Conseil emploi métropole. Montréal InVivo veut recruter un consultant qui pourra les aider – grâce à des conseillers financiers – à dresser un portrait économique de l’adéquation entre l’offre de formation initiale et les besoins du marché dans le secteur des sciences de la vie. « Nous voulons définir la structure du secteur (les enjeux, les impacts) et brosser un portrait des professions. Nous voulons aussi recenser les programmes scolaires (DEP, DEC, AEC, BAC, maîtrise, doctorat, etc.) et les passerelles. Finalement, nous aimerions donner une bonne idée des besoins des employeurs en termes de compétences. Finalement, l’étude devrait servir à nourrir la réflexion d’un comité stratégique. Je pense que c’est une sorte de chantier… Le but est d’assurer une relève compétente qui va répondre aux besoins actuels et futurs des entreprises des sciences de la vie. »

Les résultats de cette étude, qui commencera en avril, devraient être publiés au début de l’an prochain. Le directeur associé de Montréal InVivo, M. Paquette, sera responsable de superviser cette enquête. Il travaillera notamment en collaboration avec Pharmabio Développement. « L’étude va traiter d’abord des établissements scolaires et des entreprises situés dans le Grand Montréal. La région métropolitaine comprend 80 % du bassin des entreprises. Cela dit, il n’est pas du tout exclu que l’étude touche le reste du Québec. Je crois que les programmes scolaires sont similaires dans la province. Nous pourrons certainement faire des comparaisons. »

« Est-ce qu’on prépare correctement nos étudiants au Québec à exercer des emplois dans l’industrie biopharmaceutique? En sciences de la vie, avons-nous une adéquation forte entre les étudiants et les employeurs? Si ce n’est pas le cas, nous aimerions corriger la situation. Le milieu a évolué depuis quelques années. Il est temps de corriger les décalages, avec l’aide des différents acteurs de l’industrie et du milieu de l’enseignement », conclut M. Paquette.

Le programme technique en biotechnologies offre une compréhension terre à terre. On mise beaucoup sur l’expérience en laboratoire. Au BAC, on mise davantage sur la théorie. J’ai justement profité de cette passerelle DEC-BAC au Collège Ahuntsic pour ensuite compléter ma maîtrise et travailler durant près de quatre ans chez Bio-K Plus à titre de chef de projet en recherche et développement. Durant ce temps, j’ai développé de l’intérêt pour la science à l’extérieur du labo. J’ai fini par avoir une tâche hybride. J’ai fait de la promotion et du développement des affaires scientifiques.

Depuis janvier 2018, je travaille chez Montréal InVivo, sur le développement des compétences, de l’expertise et la valorisation de la relève scientifique. »

Un solide parcours qui l’amène aujourd’hui à mettre en place des stratégies efficaces afin de relever ses nouveaux défis professionnels.

Regard | Mars 2018