Une supergrappe en sciences de la vie ?

Par Jean-François Cyr

Le gouvernement fédéral a lancé en juin l’appel à propositions pour ses « supergrappes » industrielles, un programme de 950 millions de dollars destiné à rapprocher les entrepreneurs et les chercheurs issus de divers milieux économiques, dont la santé et les biosciences. Le président-directeur général (PDG) de Montréal InVivo, Frank Béraud, était très enthousiaste à l’égard de certains projets québécois en sciences de la vie. Malheureusement, aucune proposition issue du milieu n’a été retenue par Ottawa.

Initiative du ministre de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique, Navdeep Bains, ce programme quinquennal doté d’une enveloppe de près de 1 milliard de dollars a pour but de stimuler l’économie. Il favorise les partenariats publicprivé au sein d’industries novatrices canadiennes.

Ainsi, les établissements d’enseignement postsecondaire et les entreprises devaient s’associer – et former ainsi une sorte de consortium – pour proposer des projets audacieux dans des secteurs d’avenir. Dans chaque proposition, des investissements majeurs devaient aussi provenir des industries selon un ratio minimal de 50 %.

Une réponse étonnante

Frank Béraud
Président-directeur général
Montréal InVivo

La réponse des entrepreneurs et des chercheurs a été très encourageante. Environ 200 entreprises, de concert avec une vingtaine d’universités et de cégeps, ont répondu à l’appel du ministre pour proposer un projet. Il peut toucher à des domaines variés, dont la fabrication de pointe, l’agroalimentaire, les technologies propres, les technologies numériques, la santé et les biosciences, les ressources propres, l’infrastructure et les transports.

Le ministre Bains et son gouvernement souhaitent des projets ambitieux qui comprennent aussi des stratégies de propriété intellectuelle, afin de retenir au Canada les bénéfices émanant de l’innovation.

Comme d’autres observateurs du milieu québécois des sciences de la vie, M. Béraud était sceptique concernant l’annonce, en juin, de ce nouveau programme. Serait-il possible de construire un consensus de l’ensemble des partenaires sur une demande solide qui puisse faire sortir le secteur gagnant de ce concours ? Le défi au départ était « de déterminer et de mettre en commun des projets et surtout de cibler des partenaires privés en mesure d’apporter un financement au moins équivalent à celui du fédéral », c’est-à-dire environ 200 millions de dollars sur cinq ans.

Le rêve

En même temps, l’idée d’obtenir le soutien financier du gouvernement fédéral dans le cadre d’un projet innovateur en santé était extrêmement enthousiasmante. M. Béraud en était même arrivé à écrire ceci dans un billet publié en juin pour le compte de Montréal InVivo : « Qui parmi nous ne rêve pas d’une supergrappe en sciences de la vie au Québec ? »

C’est ainsi que Frank Béraud et son équipe se sont investis dans deux projets québécois en sciences de la vie. « Nous leur avons donné [aux consortiums] des lettres de recommandation. Nous étions également intéressés par un troisième projet impliquant une grappe industrielle en intelligence artificielle. Nous aurions soutenu davantage celui-ci s’il avait été retenu dans la courte liste. »

À vrai dire, Frank Béraud s’est dit agréablement surpris en septembre de constater l’enthousiasme des industriels et des chercheurs en provenance de partout au Canada. Avant la date butoir du 21 juillet, le ministère de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique a finalement reçu une cinquantaine de propositions, dont plusieurs en provenance du Québec. En fin de compte, le gouvernement fédéral retiendra cinq d’entre elles. Les projets sélectionnés seront annoncés d’ici la fin de l’exercice financier du gouvernement fédéral, le 31 mars 2018.

La courte liste

Le 10 octobre, après un exercice de présélection, c’est avec surprise que le gouvernement fédéral a dévoilé une courte liste de neuf candidatures retenues parmi les projets proposés en juillet. L’ensemble des propositions a rassemblé au total un millier de firmes et 350 autres participants. Aucun des projets sélectionnés dans cette liste ne porte sur les sciences de la vie.

Contacté le lendemain de la publication de cette courte liste de neuf projets, le PDG de Montréal InVivo a indiqué que tout n’était pas perdu. « Je ne peux cacher mon étonnement et ma déception. C’est un triste revirement de situation pour nous. Il n’y a rien qui concerne directement les sciences de la vie dans les neuf projets sélectionnés par Ottawa. Il y a néanmoins ce projet fourre-tout en Colombie-Britannique qui associe les technologies numériques, l’environnement, la santé et le milieu manufacturier… Cela dit, ces neuf candidatures retenues sont de beaux projets qui peuvent structurer et dynamiser l’économie canadienne. Je souhaite évidemment qu’ils aient du succès », a ajouté M. Béraud.

Une refonte plus québécoise

Il est probable que certains responsables des projets rejetés soient maintenant tentés de proposer leur idée aux instances provinciales.

« Je pense bien que le ministère québécois de l’Économie, de la Science et de l’Innovation va recevoir des appels provenant de personnes impliquées dans les projets soumis [au fédéral]. Le gouvernement du Québec peut-il prendre la relève d’Ottawa afin de soutenir un ou des projets ? Pourquoi pas ? »

Selon M. Béraud, certains projets québécois proposés dans le cadre du programme fédéral des supergrappes, dont ceux touchant aux sciences de la vie, devraient intéresser le gouvernement Couillard. « Il est possible de revoir la stratégie pancanadienne d’un projet et de l’adapter au territoire québécois. Il faut seulement que les entreprises impliquées restent enthousiastes et injectent les fonds nécessaires. Le budget serait moindre, possiblement. »

« Je crois qu’il y a une volonté forte au Québec à développer les sciences de la vie, a affirmé Frank Béraud. Bien entendu, Montréal InVivo peut exprimer sa déception, mais aussi son désir de développer une supergrappe industrielle québécoise en sciences de la vie, auprès du ministère de l’Économie. Montréal InVivo ne peut pas exercer de pression, mais nous pouvons agir comme porte-voix. Nous pouvons aussi faciliter des rencontres entre des gens du gouvernement et les responsables de projets de supergrappes. »

Regard | Octobre 2017